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littérature et histoire - Page 2

  • Fénelon ou la haine du despotisme sans frein

    Né au château de Fénelon le 6 août 1651, dans le Périgord, mort archevêque de Cambrai le 7 janvier 1715 ( la même année que Louis XIV), François de Salignac de la Mothe-Fénelon fut, après être sorti du séminaire de Saint-Sulpice, chargé de la direction d’une maison fondée pour recueillir les jeunes filles qui venaient d’abjurer le protestantisme, les Nouvelles Catholiques (1678-1688). C’est vers cette époque qu’il dut écrire, à la demande de la duchesse de Beauvilliers, son Traité de l’éducation des filles. En 1688, devenu précepteur du duc de Bourgogne, fils du Dauphin, il composa pour lui des Fables, des Dialogues des Morts, et probablement Télémaque, qui ne fut cependant pas achevé à cette époque.

    Nommé en 1695 archevêque de Cambrai, Fénelon soutint de 1696 à 1699, contre Bossuet, une lutte ardente à propos du quiétisme (quies, repos) qui est, rappelons-le, une doctrine mystique suivant laquelle la perfection consiste moins pour l’âme chrétienne à agir qu’à s’absorber en Dieu. C’est à cette doctrine que paraissaient tendre les écrits de Madame Guyon (1648-1717) qui avait connu le succès en France auprès de quelques âmes d’élite, et dont Fénelon se constitua jusqu’à un certain point le défenseur.

    En 1699, ses doctrines furent condamnées par le pape. Dès 1697, le roi l’avait relégué dans son diocèse après la publication furtive, et faite sans l’aveu de Fénelon, de Télémaque. Avec ce livre, rempli d’enseignements politiques qui n’étaient pas de nature à plaire à Louis XIV, sa disgrâce ne pouvait que se confirmer.  Mais Fénelon n’est pas resté inactif pour autant, car dans toute cette période il a rédigé un grand nombre d’opuscules politiques et, surtout après la mort du grand dauphin (1711), se prépare pour le moment où montera sur le trône un prince façonné par ses mains, lorsque la mort du duc de Bourgogne (1712) vient ruiner toutes ses espérances, sans qu’il se désintéresse pour cela de la chose publique.

    Des dernières années de sa vie datent deux ouvrages importants, le Traité de l’existence et des attributs de Dieu, et la Lettre à l’Académie ou Lettre sur les occupations de l’Académie française, et l’on publia encore après sa mort ses Dialogues sur l’Eloquence, qu’il doit avoir écrits dans la première partie de sa carrière littéraire. Le caractère de Fénelon gardera toujours aux yeux de la postérité quelque chose d’énigmatique, qui contraste singulièrement avec la solidité et la simplicité de l’âme et des principes d’un Bossuet. Cela dit, qu’on se sente attiré vers lui par ce qu’il y eut de charmant et assurément de généreux dans son esprit, ou qu’on soit plus frappé de ce qu’il y eut souvent dans ses démarches de calculé et de peu net, on ne peut s’empêcher de lui reconnaître beaucoup d’indépendance dans le jugement.

    Dans presque toutes les questions, en critique, en histoire, en politique, il a vu plus loin et avec plus de finesse que les écrivains qui l’ont précédé. Certes les philosophes du dix-huitième siècle ont pu, en le considérant comme une sorte de précurseur, se tromper sur les vraies tendances de la politique de Fénelon, qui fut surtout préoccupé d’assurer à la noblesse, dans l’intérêt de tout le peuple, une part effective au gouvernement de l’Etat, et peut-être sur son esprit de tolérance. Il leur ressemble,  du moins par sa haine de tout despotisme sans frein et sans contrepoids, par son ardeur pour les réformes qu’il juge bienfaisantes, et l’on ne s’étonne qu’à moitié de l’espèce de popularité dont ont joui son souvenir et ses écrits aux approches et à l’époque de la Révolution.

    Parmi ses écrits j’ai tout particulièrement retenu dans le Sermon pour la fête de l’Epiphanie, le passage sur la société de la fin du dix-septième siècle, époque où on voit la haute société, que la noblesse jusque-là composait presque toute seule, se mélanger d’un grand nombre de gens de finance et de bourgeois parvenus. Ce changement dans les mœurs sociales est d’ailleurs nettement marqué par La Bruyère (des Biens de fortune) et par les auteurs comiques du temps. Fénelon et tous ceux qui, comme lui, aspiraient à voir la noblesse reprendre dans l’Etat la place qu’elle y occupait avant Richelieu et Louis XIV, devaient en souffrir particulièrement. En outre dans ce sermon on retrouve, comme chez les autres prédicateurs de l’époque, une violente diatribe contre les grands seigneurs indélicats. Fénelon rappelle « que le dernier des devoirs est celui de payer ses dettes », ajoutant que « les prédicateurs n’osent plus parler pour les pauvres, à la vue d’une foule de créanciers dont les clameurs montent jusqu’au ciel ».

    Fénelon sera presque aussi violent dans une lettre à Louis XIV, tellement dure à l’encontre du roi que certains en avaient presque contesté l’authenticité, et dans laquelle on trouve des phrases telles que celles-ci : "Vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants, et qui ont été jusqu’ici si passionnés pour vous, meurent de faim". Puis un peu plus loin, Fénelon n’hésite pas écrire que « la France entière n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provision. Les magistrats sont avilis et épuisés. La noblesse, dont tout le bien est en décret, ne vit que des lettres d’Etat ». A ce propos, il faut noter que le mot « décret » doit être traduit comme ordonnance de saisie, et que les « Lettres d’Etat » avaient pour effet de suspendre, pendant six mois, les procédures civiles dirigées contre les personnes employées au service de l’Etat.  Cette lettre suffit à démontrer dans quel état se trouvait la France en 1695. Cela n’a pas empêché Louis XIV de se lancer deux ans plus tard dans la guerre de succession d’Espagne, qui durera jusqu’en 1713.

    Michel Escatafal

  • Madame de Maintenon : une reine secrète, mais une pédagogue admirable

    Mme de Maintenon.jpgNée  en 1635, à la prison de Niort, geôle de son père qui était le fils du poète Agrippa d’Aubigné, Françoise d’Aubigné, veuve du poète Scarron (1610-1660) qu’elle avait épousé en 1652, sut conquérir l’estime des personnages les plus distingués de son temps, et par-dessus tous les autres de Louis XIV, lequel la nomma marquise de Maintenon en 1674. Il l’épousa secrètement en 1684, un peu plus d’un an après la mort de la reine Marie-Thérèse. Cela ne lui conféra pas pour autant une influence considérable sur les affaires politiques et religieuses du royaume, contrairement à une légende tenace qui lui attribue notamment la décision ayant conduit à la révocation de l’édit de Nantes en 1685, ce qui eut pour effet de provoquer un exode massif des protestants…et de leurs capitaux.

    A propos de cet épisode douloureux de notre histoire, aujourd’hui tous les historiens semblent d’accord pour minimiser le rôle de Madame de Maintenon, ne serait-ce qu’en raison de son passé calviniste. En effet, même si elle est née catholique, elle passera l’essentiel de sa prime jeunesse chez une tante huguenote qui lui fera partager sa foi jusqu’au moment où, après la mort de son père, elle sera placé chez les Ursulines qui la reconvertiront au catholicisme.  En revanche nul ne conteste son influence sur la Cour de Louis XIV, à qui elle a imposé une ère de rigueur et d’austérité qui contrastait avec le caractère volontiers volage de son auguste époux.  

    Douée d’un esprit solide, sinon très élevé, habituée à compter avec les difficultés de la vie, ne serait-ce qu’au moment de la mort de son mari où elle se retrouva sans le sou alors qu’elle n’avait que vingt-cinq ans, elle a consacré le meilleur de son temps et de ses soins à la fondation et à la direction de cette maison de Saint-Cyr, où devaient être élevées gratuitement deux cent cinquante jeunes filles nobles et pauvres. Les demoiselles de Saint-Cyr nous ont elles-mêmes conservé ses Entretiens, remplis d’utiles conseils, qui s’appuient souvent sur des souvenirs personnels. Il faut y ajouter ses Conversations et ses Proverbes, espèces de dialogues et de petits drames moraux, et ses Lettres, dont un très grand nombre sont relatives à Saint-Cyr ou à l’éducation des filles. Aucune de ces œuvres n’assure à Madame de Maintenon une place parmi nos plus grands écrivains, mais nul pédagogue ne s’est montré plus libre de tout préjugé systématique ou romanesque, nul n’ a eu plus qu’elle le sentiment de la réalité, ne s’est plus attaché à fonder toujours sur l’expérience des enseignements empreints de modération et de bons sens. Elle mourra le 15 avril 1719 dans cette maison de  Saint-Cyr qu’elle a immortalisée.

     Parmi les Lettres sur l’éducation, j’ai retenu celle écrite à Madame de Gruel, qui était Dame de Saint-Cyr, maîtresse des « rouges », c’est-à-dire des élèves âgées de moins de dix ans, où Madame Maintenon évoque la nécessité de la douceur dans l’éducation des enfants. Elle dit notamment à Madame Gruel : « Vous parlez à vos enfants avec une sécheresse, un chagrin, une brusquerie qui vous fermera tous les cœurs ; il faut qu’elles sentent que vous les aimez, que vous êtes fâchée de leurs fautes pour leur propre intérêt, et que vous êtes pleine d’espérance qu’elles se corrigeront ; il faut les prendre avec adresse, les encourager, les louer, en un mot il faut tout employer, excepté la rudesse, qui ne mène jamais personne à Dieu. Vous êtes trop d’une pièce, et vous seriez très propre à vivre avec des saints ; mais il faut savoir vous plier à toutes sortes de personnages, et surtout à celui d’une bonne mère qui a une grande famille qu’elle aime également ».

    Michel Escatafal

  • Louis Bourdaloue : un très grand sermonnaire

    bourdaloue.jpgNé à Bourges en 1632, mort en 1704, Louis Bourdaloue, de la Société de Jésus, est le plus grand de nos sermonnaires après Bossuet, à qui les contemporains semblent même l’avoir préféré. Boileau, par exemple, le considéra comme "le plus grand orateur dont le siècle se vante". D'autres le surnommèrent "roi des prédicateurs, prédicateur des rois". Sa carrière de prédicateur commença à Paris en 1669, c’est-à-dire l’année même où Bossuet, nommé précepteur du dauphin, allait être pour longtemps obligé à renoncer , ou peu s’en faut, à la prédication.

    Par rapport à Bossuet, dont la prédication était essentiellement dogmatique, Bourdaloue s’attachait surtout à l’enseignement de la morale, ce qui le rendait plus à même de captiver l’attention de ses auditeurs. Il était aussi plus polémique, comme nous dirions de nos jours, en remplissant ses sermons des attaques les plus vigoureuses et les plus précises contre les mœurs de son temps. D’ailleurs en étudiant ces sermons, on pourrait presque reconstituer le tableau de la société française dans la seconde moitié du dix-septième siècle (en plein dans le règne de Louis XIV), entre autres les débats sérieux suscités par le jansénisme qui ont agité la France et l’Église. 

    Cela dit, le succès de la prédication de Bourdaloue devait exercer une influence fâcheuse sur les jeunes prédicateurs qui, sans être animés de l’impétueuse charité qui faisait la force et la grandeur du maître, recherchèrent la faveur du public en peignant les mœurs à la façon des moralistes, au lieu d’enseigner purement et simplement la doctrine évangélique. Aussi, parlant de Bossuet et de Bourdaloue, La Bruyère a-t-il pu dire qu’ils "ont eu le destin des grands modèles : l’un a fait de mauvais censeurs, l’autre de mauvais copistes". En tout cas, en lisant quelques uns de ses sermons, notamment le Sermon sur la Pénitence, j’ai pu constater que Bourdaloue ne mâchait pas ses mots vis-à-vis des grands seigneurs qui avaient la mauvaise habitude, entre autres, de ne pas payer leurs dettes.

    Il suffit de lire dans ce sermon le passage consacré au vrai repentir du pécheur à qui Bourdaloue s’adresse : "Vous êtes un homme du monde, un homme distingué par votre naissance, mais dont les affaires (ce qui n’est aujourd’hui que trop commun) sont dans la confusion et dans le désordre. Que ce soit par un malheur ou par votre faute, ce n’est pas là maintenant de quoi il s’agit. Or, dans cet état, ce qui vous porte à mille péchés, c’est une dépense qui excède vos forces et que vous ne soutenez que parce que vous ne voulez pas vous régler, et par une fausse gloire que vous vous faites de ne pas déchoir. Car de là les injustices, de là les duretés criantes envers de pauvres créanciers que vous désolez ; envers de pauvres marchands aux dépens de qui vous vivez ; envers de pauvres artisans que vous faites languir ; envers de pauvres domestiques dont vous retenez le salaire". Effectivement ce pécheur n’a vraiment rien d’un véritable pénitent !

    Michel Escatafal

  • Madame de Sévigné, un des écrivains français les plus originaux

    mme de sévigné.jpgNée en 1626, morte en 1696, orpheline dès son plus jeune âge, veuve à vingt-cinq ans, après seulement sept années de mariage, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, qui avait reçu elle-même par les soins de son oncle, Monsieur de Coulanges, les leçons des maîtres les plus illustres, se consacra toute entière à l’éducation de ses enfants, Charles et Françoise-Marguerite.  C’est surtout de cette dernière, qui devint en 1669 Madame de Grignan, qu’elle s’occupa plus particulièrement. Les lettres qu’elle écrivit à cette fille chérie, après son mariage et son départ pour le gouvernement de Provence, dont son mari était lieutenant général, forment la plus grande partie de cette correspondance célèbre.

    Quelques unes étaient déjà connues dans la société polie, et avaient  acquis une renommée du vivant de Madame de Sévigné, en précisant toutefois que la plupart n’ont été écrites que pour l’intimité. La variété du ton aussi bien que des sujets n’est d’ailleurs pas le moindre mérite de ces lettres. Celles-ci en effet nous racontent  les plus grands et les plus menus faits qu’elle ait  vus s’accomplir sous ses yeux ou dont elle a entendu parler.  Madame de Sévigné se peint surtout elle-même, avec ses vertus et ses faiblesses, ses hautes qualités et ses petits travers, prenant place ainsi, sans l’avoir cherché, parmi les écrivains français les plus originaux, parmi ceux qu’on égale peut-être mais qu’on n’imite et qu’on ne surpasse pas.

    En lisant ou relisant ces lettres, on en apprend évidemment beaucoup sur la grande et la petite histoire de France, sur le rôle de la religion à cette époque, et aussi sur la manière aussi dont on opérait à l’époque pour obtenir certaines faveurs, sans parler de l’incompréhension qu’ont parfois les parents vis-à-vis de leurs enfants, autant de choses qui finalement n’ont pas tellement changé depuis ce temps, sauf peut-être en ce qui concerne la religion. Parmi ces lettres j’en ai retenu quelques unes qui expriment tous ces sentiments à la fois.

    La première est une lettre écrite le jeudi 28 décembre 1673 à Madame de Grignan, et intitulée Déception. Elle a été écrite parce qu’un différend s’était élevé entre Monsieur de Grignan, gendre de Madame de Sévigné, et l’évêque de Marseille Forbin-Janson. Madame de Sévigné avait exprimé le désir que sa fille et son gendre viennent eux-mêmes à la cour pour plaider leur cause. Madame de Grignan s’y était refusé pour diverses raisons. C’est sur ce refus que la lettre de Madame de Sévigné, qui s’était réjouie d’avance à la pensée de voir de nouveau sa fille auprès d’elle, est écrite.

    Et au vu de cette lettre, elle ne lésina pas sur les moyens pour obtenir que son gendre, accompagné de sa femme, demande et prenne un congé, faisant intervenir un gentilhomme provençal, Monsieur du Janet, lequel s’adressa au ministre des Affaires étrangères, Arnaud de Pompone, lui-même ami de Madame de Sévigné. Cela étant, malgré ces interventions, malgré aussi les suppliques personnelles de la mère à sa fille, celle-ci ne céda point, allant jusqu’à invoquer des raisons financières pour mieux expliquer ce refus. Voyant  que ses efforts étaient inutiles, Madame de Sévigné se résigna prenant « cette douleur, qui n’est pas médiocre, comme une pénitence de Dieu ».

    Une autre lettre célèbre a été écrite aux Rochers, le mercredi 16 novembre 1689, concernant les lectures de Pauline de Grignan, petite fille de Madame de Sévigné (1674-1757), qui écrivit comme sa célèbre grand-mère quelques lettres assez agréables. En outre elle prit une grande part à la publication de celles de son illustre aïeule en 1726. Madame de Sévigné fut toujours remplie d’une grande tendresse pour cette jeune personne charmante, louée pour son caractère et son esprit, dont elle prit grand soin de diriger à distance son éduction et ses lectures.

    On retrouve d’ailleurs dans le recueil des lettres de Madame de Sévigné, nombre de pages parmi les plus délicieuses que la grand-mère ait consacrées à sa petite-fille. En tout cas elle a fait d’elle une dévoreuse de livres, en lui recommandant toutefois  de ne pas laisser tourner son esprit « du côté des choses frivoles ».  Au passage elle en profite pour lui recommander l’Histoire de l’Eglise de Monsieur Godeau, ce dernier ayant été l’un des écrivains qui fréquentèrent assidûment l’hôtel de Rambouillet, membre de l’Académie française dès sa fondation, évêque de Grasse, puis de Vence, auteur de Poésies sacrées et profanes, et de plusieurs ouvrages de piété.

    Enfin, vers la fin de sa vie, elle écrira quelques lettres où elle évoquera la mort et la manière de s’y préparer. Parmi celles-ci il y en a une, très émouvante, envoyé à Monsieur de Coulanges (1633-1716), son cousin germain, au moment de la mort subite de Louvois (16 juillet 1691), « ce grand ministre, cet homme si considérable qui tenait une si grande place, dont le moi, comme dit M. Nicole, était si étendu, qui était le centre de tant de choses » ! Elle profite de l’occasion pour réaffirmer avec force une foi très vive, demandant aux hommes de lire Saint-Augustin dans la Vérité de la Religion, traduction du  De Vera Religione, ouvrage dirigé notamment contre les philosophes et les hérétiques, mais aussi le théologien protestant Jacques Abbadie (1657-1727), plus particulièrement le livre La vérité de la religion chrétienne écrit en 1684 (un an avant la révocation de l’Edit de Nantes), ce qui paraît plus surprenant. Cela dit, la marquise de Sévigné avait une personnalité assez affirmée pour ne pas hésiter à montrer son enthousiasme pour les lectures qu’elle appréciait. En cela elle ne faisait que confirmer le courage qu’elle mettait à rester fidèle à ses amis, fussent-ils en disgrâce, comme par exemple le surintendant Fouquet.

    Michel Escatafal

  • Salluste (86 – 34 av. J.C.), un historien qui a participé à l'histoire

    salluste.jpgC’est dans le pays des antiques vertus, la Sabine (au nord-est de Rome) , que naquit Salluste, mais l’air natal n’eut guère d’influence sur sa conduite. Peut-être quitta-t-il trop tôt Amiterne, son lieu de naissance, pour aller à Rome, ville de tous les excès à son époque. Appartenant à une famille obscure jusqu’à lui,  mais riche certainement, il avait à peine achevé son éducation littéraire qu’il se jeta dans la vie politique et débuta au barreau. Nous étions à l’heure où la conspiration de Catilina (63 av. J.C.) se préparait. Et Salluste avait assez peu de scrupules pour vouloir y jouer un rôle, même si son autorité était encore insuffisante pour y tenir une place importante. Toutefois son orgueil, et plus encore son ambition, l’empêchèrent à ce moment de se compromettre. Cependant il avait assez vu les hommes et assez vécu de la vie politique pour que sa curiosité fût attisée. S’étant mis à l’écart pour un moment, il résolut alors de se donner à l’histoire, et pria son maître l’Athénien  Ateius Praetextatus (vers 100- vers 30 av. J.C.) de faire pour lui un sommaire de l’histoire romaine, où il se réserverait de choisir l’époque la plus capable de l’intéresser.

    Cette retraite ne dura guère, car le parti populaire venait de remporter un triomphe en exilant Cicéron. Clodius est alors tout puissant, et Salluste étant ami avec lui, ce dernier arrive d’abord à la questure, puis au tribunat. Sur le plan politique, les partis ne cherchent même plus à se disputer le pouvoir, mais essaient de se l’arracher. Ainsi la faction des nobles décida de se débarrasser de Clodius (92 – 52 av. J.C.) en le faisant assassiner par Milon, épisode bien connu de l’histoire de Rome. Salluste pour sa part se mit à la tête de la populace qui réclamait vengeance pour le meurtre de son chef, et c’est lui qui guida « les furieux » qui incendièrent deux temples pour en faire un bûcher à Clodius. Malgré ces violences du parti démocratique, ou à cause d’elles, l’aristocratie prit le dessus et Salluste allait en subir les conséquences.

    La vie privée de Salluste fut loin d’être exempte de reproches, notamment en raison des dettes considérables qu’il fit un peu partout, ce qui le contraignit à vendre la maison de son père, lequel en mourut de chagrin. Ce fut là un prétexte idéal pour l’accabler, et le censeur Appius Claudius le raya de la liste sénatoriale et lui infligea la note d’infamie. On ne plaisantait pas à l’époque ! Reste une question qui n’a jamais eu vraiment de réponse : Salluste profita-t-il de ses loisirs forcés pour écrire sa Conspiration de Catilina ?  C’est très peu vraisemblable, dans la mesure où cet ouvrage est généralement daté de 42 avant  J. C. En outre Salluste, en fin observateur de la vie politique, savait tout le parti qu’il pouvait tirer de ses relations avec César, et se mêlait trop aux intrigues du futur dictateur pour pouvoir se livrer à cette étude.

    En tout cas, dès que César eut franchi le Rubicon (11 janvier 49 av. J.C.), Salluste se tint prêt à se faire payer ses services. César lui rendit ainsi son titre de questeur, et lorsqu’il décida d’écraser en Afrique les restes du parti pompéien, il confia à Salluste le commandement de la dixième légion. Mais les choses ne se passèrent pas comme prévu, car les soldats lassés de guerroyer se mutinèrent et refusèrent de s’embarquer, contraignant leur nouveau chef à s’enfuir. Ils revinrent en désordre à Rome, où César d’un mot méprisant (il les traita de bourgeois) les fit rentrer dans le devoir.  Mais ce ne fut qu’un contretemps pour Salluste qui, par ailleurs, n’avait pas ménagé ses efforts pour faire rentrer  les insurgés dans le rang. Il passa donc finalement en Afrique avec César, se rendit utile en ravitaillant l’armée par un habile coup de main sur l’île de Cercina (aujourd’hui îles Kerkennah), et après la victoire définitive, obtint le proconsulat de la riche province de Numidie où, non content de vivre dans un luxe ostentatoire, il récupéra d’immenses richesses, dépouilles de ses administrés.

    Quand Salluste revint à Rome ces richesses firent scandale, malgré l’appui de César. On le dénonça comme le nouveau Verrès, ancien gouverneur de Sicile contre qui Cicéron remporta un procès pour avoir pillé la province (70 av. J.C.), fut accusé de concussion et ne fut sauvé d’une condamnation que grâce à l’influence du tout-puissant dictateur. Cependant il eut l’intelligence de comprendre qu’il n’était pas acquitté par l’opinion publique, et il rentra définitivement dans la vie privée, exemple qui devrait être suivi beaucoup plus souvent.

    A partir de ce moment  et jusqu’à sa mort, Salluste se consacra à ses travaux historiques dans la somptueuse villa entourée de jardins qu’il s’était fait construire sur le Mont Quirinal, laquelle renfermait un nombre considérable de chefs d’œuvre de l’art antique. Sa première composition historique fut la célèbre Conjuration de Catilina.   Il commença sans doute l’Histoire de la guerre de Jugurtha pendant son gouvernement de Numidie, mais il ne fait aucun doute qu’il l’acheva dans les dernières années de son existence. A cette même époque il écrivit une Histoire romaine, dont il ne nous reste que des fragments, et qui comprenait  le récit des évènements écoulés depuis la mort de Sylla (138-78 av. J.C.) jusqu’aux débuts de Catilina comme propréteur en Afrique (66 av. J.C.). Cela explique pourquoi  l’œuvre de Salluste forme une sorte d’histoire contemporaine, d’autant qu’on lui a attribué en outre deux lettres à César, dans lesquelles est tracé un programme de la dictature, mais aussi une Invective contre Cicéron, morceau déclamatoire de qualité, mais dont on est certain qu’elle n’est pas de lui. On ne prête qu’aux riches !

    Michel Escatafal